Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Saïd EL ASS
5 avril 2005

Naître ou ne pas Naître

Casablanca, quartier Espagnol, le 17 juin 1951, compte rendu d’une naissance par forceps.

Plusieurs membres de ma famille décrivent ma naissance. Ce jour, en fin d’après-midi, ma mère qui était bien entendu à terme, a eu ses contractions. Comme il était d’usage, on fait appel à la kabla, une sage-femme formée sur le tas. Une infime minorité de femmes se faisaient assister à l’époque par l’obstétricien dans cet acte naturel qu’est l’accouchement. D’ailleurs, il en est toujours ainsi de nos jours non dans la campagne marocaine. Les maternités des hôpitaux et des cliniques des villes continuent à être boycottées jusqu’en l’an 2005 par un nombre assez important de femmes enceintes qui ne se soumettent d’ailleurs à aucun suivi gynécologique pendant leur grossesse. Les raisons de ce boycott sont rapportées non seulement aux mentalités, à une certaine résistance à la médecine, mais aussi à la situation socio-économique de la majorité des Marocains et qui rend l’accès aux soins limité à une frange de la population qui en a les moyens.

Ma famille ne vivait pas dans la misère mais n’était pas non plus quelque peu aisée. Elle habitait  une maison dans un quartier des plus populaire de Casablanca et son chef, mon grand-père, n’avait comme revenus que les honoraires qu’il recevait de la rédaction du courrier pour ses concitoyens analphabètes ainsi que de procédures et autres documents en sa qualité de conseiller  juridique dans le droit religieux. Il avait dépassé la cinquantaine quand il avait commencé ce travail qui lui permettait juste de subvenir aux besoins les plus pressants de sa famille. L’homme a été toujours modeste et se refusait de se faire des ambitions alors qu’il était des plus érudits de sa génération. Parfaitement bilingue (arabe et français), il s’était lancé dans le journalisme pour l’abandonner par conviction patriotique ; le Maroc était sous Protectorat  et les journaux de l’époque étaient administrés par des colons.

C’était cet homme qui allait faire appel à un médecin français pour délivrer ma mère constatant que la kabla ne pouvait le faire, histoire de l’étroitesse du bassin de ma génitrice. Rien à faire. Je refusais de sortir et il fallait faire recours au forceps pour m’extraire. L’instrument a laissé une trace pour toujours dans mon os frontal pour me rappeler à chaque instant que j’ai tout fait pour ne pas être de ce monde. Avais-je raison ? J’y étais, s’y suis encore et c’est ce qui me permet aujourd’hui, après 53 ans de vécu, de pouvoir répondre à cette question avec assez de recul. Naître ou ne pas naître ?

journal_personnel_de mon_grand-père où il_a_noté ma_naissance, le_17_juin_1951

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité